CONJONCTURE
L'innovation, une dynamique sacrifiée par la crise ?
"Nous allons contracter le volume de nos innovations pour nous concentrer autour des thématiques de la santé, de la nutrition et de l'efficience de la production boulangère" le discours de vérité tenu par Lionel Joly, Directeur Général de Lesaffre Panification France, devant les lauréats de la Bourse Première Installation Lesaffre, témoigne de l'ampleur du choc subi par l'ensemble des acteurs économiques, peu importe leur taille et leur solidité. Face à cet environnement perturbé, la tentation est grande d'appuyer sur le frein avec le plat du pied : la perte de vitesse engendrée a autant de conséquences positives sur les comptes à court terme que d'effets de bords nuisibles à plus longue échéance. Dès lors, c'est un véritable travail d'équilibriste qui s'impose à chacun.
Après l'euphorie engendrée par la reprise de l'activité post-confinements, les chocs successifs du conflit ukrainien, qui a considérablement désorganisé les chaines d'approvisionnement, et de l'explosion des prix de l'énergie, ont achevé d'éteindre toute forme d'optimisme dans de nombreuses entreprises, lesquelles se sont positionnées dans une logique de survie et non plus de conquête.
Dès lors, la création de nouveaux produits ou l'exploration de nouveaux marchés peut sembler secondaire, le plus urgent étant de tenter d'éteindre l'incendie d'une rentabilité et d'une trésorerie en berne. Pourtant, la pression exercée par la nécessaire transformation des modèles de consommation et de production n'a jamais été aussi forte : crises climatiques, sociales, énergétiques, sanitaires... la définition de nouveaux modèles, portée par une forme d'innovation ou de rétro-innovation pour certains, pourrait apporter des réponses durables et assurer la pérennité de nombreuses entreprises, y compris dans l'écosystème de la boulangerie-pâtisserie.
Lors de l'Assemblée Générale d'Intercéréales, l'ancien président-directeur général d'Axa Henri de Castries présentait une vision du futur dans laquelle le "foisonnement d'innovation", porté en grande partie par des entreprises de petites tailles (du fait de coûts de développement plus faibles grâce au progrès technologique), allait transformer la société et apporter des solutions aux problématiques actuelles.
Seulement, il se pourrait bien que nous ayons encore à attendre. Comme en témoigne une étude réalisée par le Crocis (centre d'observation de la CCI Paris Ile-de-France) auprès de 1 600 établissements franciliens de toute taille (dont 78 % de TPE), la hausse des coûts de l'énergie incite les entreprises à retarder leurs investissements. 39 % des entreprises sans salarié et 48 % des entreprises de 1 à 9 salariés envisagent de mettre en oeuvre des stratégies à court terme... parmi lesquelles compte ce choix difficile et risqué, pouvant induire un manque de compétitivé et donc un déclassement sur son marché à moyen terme.
Qu'il s'agisse de respect de la santé, des ressources naturelles ou encore de l'environnement, les attentes sont nombreuses, à la fois de la part du grand public comme des nouvelles générations de professionnels. Ce ralentissement de l'innovation pourrait alors être mis à profit pour se concentrer sur ces sujets, en développant des gammes plus rationnelles et centrées sur des pains plus nutritifs, tout en réduisant le gaspillage alimentaire ou encore la consommation énergétique par des cuissons mieux maîtrisées en fonction des flux de clientèle. Autant d'idées pour faire mieux avec moins, ce qui prouve que sobriété peut rimer avec continuité du progrès... le choix de l'immobilisme étant, de par le fonctionnement même de la nature, toujours le plus risqué.