RESTAURATION
Les boulangers bousculent les traiteurs et cantines de quartier
La légitimité acquise par les boulangers sur le marché du snacking leur permet à présent de voir plus loin... et plus grand. Si la proposition salée était historiquement une partie de leur offre, parfois intégrée avec difficulté dans un environnement déjà chargé, elle prend désormais son envol sous l’impulsion de plusieurs artisans décidés à faire valoir leur savoir-faire face à des acteurs bien implantés : ils créent ainsi des boutiques dédiées à la restauration, tout en gardant un lien intime avec les fondamentaux de la boulangerie et de la pâtisserie.
Outre-Atlantique, on appelait ce modèle de restauration « fast casual » : associant la praticité et la rapidité de consommation de l’offre de snacking à un positionnement qualitatif, voire haut de gamme, il a apporté un souffle nouveau dans un marché jusqu’alors réservé aux mains de quelques acteurs traditionnels. Dans l’Hexagone, des noms, tels que Cojean, ont adapté avec succès le modèle, contribuant à donner une autre image de la restauration rapide : cette dernière peut être source de plaisir et de nutrition, puisque manger vite ne signifie pas forcément manger mal. Ces véritables « cantines » d’un nouveau genre, plébiscitées par les populations urbaines, demeuraient accompagnées par tout type de traiteur, qu’il soit traditionnel ou orienté sur des cuisines du monde, ces dernières ne cessant de monter en puissance dans les habitudes culinaires des Français.
La boulangerie invente une nouvelle restauration moderne et décomplexée
Aujourd’hui, le « fast casual » doit compter sur une nouvelle concurrence : les boulangers-pâtissiers apportent leur propre vision de cette approche de la restauration, en bénéficiant de leur maîtrise de la fabrication du pain et de tout type de pâte, qu’elle soit briochée, feuilletée, brisée... et déploient cette vision avec ambition. C’est notamment le cas de la Maison Vatelier, qui a ouvert en mars dernier « Bouche Bée » au 76 Rue des Carmes à Rouen (76), une boutique dédiée au salé où le couple souhaite s’en tenir à un mot d’ordre clairement défini : faire du « simplement bon ». Installée historiquement à Quincampoix, l’entreprise a bâti une réputation qui lui a permis de se développer avec la confiance des Rouennais. Brioche feuilletée, pain focaccia, pain de mie, croissants... de nombreuses bases sont directement issues de l’univers boulanger, avec des recettes plus cuisinées et raffinées.
Même approche pour Mamiche, la désormais célèbre enseigne de boulangerie parisienne fondée par Cécile Khayat et Victoria Effantin : à quelques mètres de leur boutique de la rue du Château d’Eau (Paris 10e), les deux associées ont donné naissance cet été à Mamiche Traiteur. Au 19 rue Bouchardon, en lieu et place d’une boulangerie, on retrouve à présent l’approche gourmande et décomplexée qui a fait le succès de la marque. Du petit-déjeuner (avec des barres de granola) au dîner en passant par l’incontournable déjeuner, la boutique multiplie les moments de consommation avec une identité visuelle faussement vintage. Preuve supplémentaire que le duo ne se refuse rien, un savoureux clin d’œil à l’enseigne de fast-food la plus emblématique se trouve en vitrine : le Mac Mamiche, où le bun est remplacé par un savoureux English muffin. La recette a tout pour séduire les foules, avec une sélection pointue de matières premières ( jambon Prince de Paris, fromages fournis par Terroirs d’Avenir...) et, là encore, l'extension du champ des possibles grâce à la maîtrise du four d’un boulanger.
Un dialogue renouvelé entre pain, pâtisserie et restauration
Les cuisiniers s’intéressent aussi à cette approche pâtissière et boulangère de la restauration. Yannick Delpech, à la tête du restaurant Des Roses et Des Orties à Colomiers (31), a multiplié les initiatives en ce sens ces dernières années : d’abord avec Sandyan « Cuisine de Rue » (fermé en 2018), attenant à sa pâtisserie toulousaine, puis plus récemment au travers de la charcuterie pâtissière Melsàt, ouverte en 2021. Tourtes, pâtés en croûte, feuilletés... sont autant de marqueurs du lieu, faisant la différence avec de nombreux traiteurs traditionnels où la maîtrise de la pâte est parfois limitée.
C’est en définitive un dialogue renforcé entre les univers de la restauration et de la boulangerie qui se créé et s’invente chaque jour.
Le boulanger-entrepreneur Julien Cantenot, déjà à la tête de l’Atelier P1, a dédié un lieu à cette rencontre créatrice : P1 Bouche a vu le jour le 6 juillet dernier, avec la volonté de redonner au petit-déjeuner ses lettres de noblesse et d’en faire un véritable repas, mais aussi de proposer une cuisine saine et gourmande où le pain au levain naturel et les douceurs engagées, façonnées dans le fournil tout proche, prennent un nouveau sens au sein d’une « cuisine boulangère » de partage... qui se décline dans une approche éco-engagée et avec de nombreuses inspirations exotiques. De quoi prouver, une fois encore, que le boulanger est un formidable alchimiste, apte à conjuguer harmonieusement tous les éléments.