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CONJONCTURE

Face aux crises, l'inévitable transformation de la filière ?

Publié le 24/03/2022 |

Le choc engendré par un conflit aux portes de l'Europe n'épargne aucun acteur de l'économie mondiale, du fait des fortes dépendances entretenues entre eux. Pire encore, ce dernier impacte un secteur majeur et incontournable : celui de l'énergie. Si nous avions évoqué les difficultés rencontrées par les artisans boulangers itinérants, c'est l'ensemble de la filière qui est touché.
Les difficultés peuvent également être une source de créativité et de progrès. Elles remettent en question bon nombre de mode de fonctionnement qui paraissaient acquis.

Développer la sobriété énergétique

La boulangerie s'est considérablement mécanisée dans le courant du 20è siècle, et les équipements de froid se sont imposés jusqu'à devenir quasi-indispensables dans les fournils. La consommation énergétique de ces machines se révèle non négligeable et d'autant plus dans un contexte où l'électricité et le gaz connaissent une flambée de leurs tarifs.
Les longues fermentations ne sont pas uniquement réservées aux utilisateurs des chambres à température contrôlée : depuis plusieurs années, les Ambassadeurs du Pain prônent une méthode à faible ensemencement nommée Respectus Panis®, laquelle permet de fabriquer des pains de grande qualité avec un long pointage de 16h à 16-18°C. Elle est ainsi beaucoup moins énergivore, tout en préservant les qualités nutritionnelles des farines et en aboutissant à des produits naturellement savoureux. 

Cette logique de sobriété énergétique remet également en question la construction des gammes de pâtisseries et de viennoiseries, pour lesquelles le froid négatif est devenu courant. Les entremets complexes, dont la réalisation passe nécessairement par une étape de surgélation, se voient remis en question tout autant que l'importante largeur des gammes développées en boulangerie-pâtisserie. Réduire le nombre de références et s'orienter vers des réalisations plus simples, mettant en valeur la qualité des ingrédients, pourrait être une réponse à la situation que nous traversons.

S'orienter vers les circuits-courts

Cette qualité de matière première s'obtient notamment en travaillant au plus près des producteurs, ce qui permet de réduire le transport et les coûts associés. Si cette tendance était déjà grandissante, elle pourrait bien prendre un nouvel essor aujourd'hui. Le travail en circuit-court permet également de s'affranchir des logiques spéculatives et des cours mondiaux, qui ne traduisent pas forcément la réalité d'une situation locale. Si la France ne connaît pas de difficulté d'approvisionnement en blé de par sa production intérieure, elle reste dépendante des marchés et cela explique la hausse des prix de farine en cours et à venir dans les prochains mois. Ceux qui ont fait le choix de maîtriser un grand nombre d'éléments de la chaine de valeurs ne sont pas ou peu affectés, à l'image des paysans-boulangers qui écrasent et transforment leurs propres grains.
Globalement, c'est la nécessité d'une souveraineté alimentaire de nos pays qui est mise en lumière. La filière blé-farine-pain peut y participer en fournissant des aliments de bonne qualité.

Un modèle d'agriculture en question

La hausse brutale des prix du gaz a entrainé, par effet de ricochet, l'augmentation du budget lié aux engrais chez les agriculteurs. En effet, cette précieuse nourriture pour les plantations est fabriqué à base du fameux combustible. Le modèle agricole majoritaire aujourd'hui fait massivement appel aux engrais pour maximiser les rendements, en plus de devoir compenser l'appauvrissement progressif des terres. Cette crise fragilise un peu plus une profession souffrant déjà d'un partage de la valeur souvent défavorable, et risque d'en décourager plus d'un alors même que les syndicats agricoles appellent à la mobilisation générale pour maximiser la production. Les impératifs de productivité et de durabilité semblent difficilement conciliables, et l'urgence climatique imposera sans doute des choix drastiques pour transformer les méthodes à l'avenir.
Les initiatives telles qu'Agri-Ethique prouvent toute leur valeur dans ce contexte, en garantissant au producteur et aux transformateurs une visibilité sur plusieurs années quant aux prix pratiqués... mais cette période s'apparente également à une véritable épreuve du feu pour ces dispositifs : il est à craindre que des agriculteurs choisissent de s'en détourner, car la hausse des cours du blé leur serait favorable aujourd'hui.

Le retour en grâce de la boulangerie de centre-ville / de quartier

Le coût engendré par les déplacements pourrait avoir un impact à moyen terme sur les logiques d'aménagement du territoire et peser lourdement sur l'attractivité des zones commerciales implantées en périphérie. Dès lors, les boulangeries de centre-ville ou de quartier retrouvent tout leur sens et leur utilité, de par la proximité naturelle qu'elles entretiennent avec la clientèle. 

La durée du conflit ukrainien et l'attitude du camp russe détermineront l'ampleur de ces problématiques et évolutions dans les mois à venir. La mobilisation de chaque acteur sera nécessaire pour assurer la continuité de l'alimentation au service des populations, et ce dans les meilleures conditions possibles, en préservant les intérêts de la filière tout en restant engagé dans une logique de durabilité.