TENDANCES
Boulangerie, la mie des chefs ?
Les chefs cuisiniers sont toujours plus nombreux à se mettre dans le pétrin et ainsi proposer, en plus de l'offre de restauration proposée dans leurs autres établissements, des pains et gourmandises boulangères. Pour des artisans habituellement rattachés à un univers étoilé, onéreux et de fait peu accessible au grand public, c'est une façon de toucher une clientèle plus large et faire fructifier leur prestigieuse image.
La tendance n'est pas nouvelle mais s'est amplifiée avec la pandémie, qui a généré un phénomène de transformation de la restauration haut de gamme. Cyril Lignac ne l'avait pas attendue pour lancer ses pâtisseries, qui comptent aujourd'hui 5 adresses à Paris et depuis cet été à Saint-Tropez. Thierry Marx s'est aussi lancé dans l'aventure dès 2016, avec de grandes ambitions à l'époque, l'enseigne souhaitant ouvrir rapidement jusqu'à 20 points de vente à Paris et en région. Son développement a depuis été confié au fonds d'investissement FrenchFood Capital, qui continue de porter la marque Thierry Marx Bakery.
Dans le sud de la France, le chef-jardinier Mauro Colagreco a bâti son enseigne Mitron Bakery, installée à Menton et à Monaco, autour des blés paysans et plus particulièrement ceux fournis par le paysan-boulanger Roland Feuillas. Il a acquis son propre moulin pour réaliser des moutures fraiches, ce qui témoigne de son niveau d'engagement dans la démarche et de l'exigence de cohérence du chef.
A Honfleur, Alexandre Bourdas a transformé son restaurant étoilé pour en faire un lieu de vie accessible à toute heure, avec notamment une offre petit déjeuner et goûter. Ainsi, son restaurant est ouvert du mercredi au dimanche de 7h30 à 0h00. Le pain au levain naturel s'est invité dans l'espace transformé courant 2020, grâce à l'acquisition d'un espace de production dédié à l'entrée de la ville normande. Installée au 9173 cours Jean de Vienne, Honfleur (14), la boulangerie-pâtisserie SaQuaNa reprend toute l'exigence et l'univers du chef, qui a renoncé aux étoiles pour être plus proche de ses clients.
Avant sa mort, le chef Joël Robuchon s'était associé avec l'entreprise japonaise Dassaï, spécialisée dans le saké, pour ouvrir un concept de boulangerie-pâtisserie-restaurant et bar à saké. Au 184 Rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8è, les farines des Moulins Viron sont transformées par 3 boulangers selon des recettes traditionnelles françaises mais également de nombreuses inspirations japonaises, comme pour le pain de mie ou encore les boules de pain à la viande assaisonnées au curry.
Plus discrètement, la famille Roellinger façonne depuis plus de 20 ans son propre pain dans le fournil du Château Richeux, un de ses établissements situé à Saint-Méloir-des-Ondes (35). Véritable précurseur de cette tendance portée vers la panification, Olivier Roellinger avait fait appel à la famille Poilâne pour bâtir son fournil, lequel intègre un four à bois. Deux boulangers pétrissent des pains au levain naturel à partir de farines fournies par un agriculteur local. Si la production est principalement destinée aux restaurants et à l'hôtel, elle est aussi proposée à la vente au grand public à la réception ainsi qu'au sein de la pâtisserie Grain de Vanille à Cancale.
La région lyonnaise est également bien servie : Georges Blanc (3 étoiles Michelin) possède sa boulangerie à Vonnas (01), véritable "Village Blanc" où la maison accueille le public au sein d'un espace de 1500m2 sur trois niveaux depuis 2016, avec en plus du pain, des viennoiseries et pâtisseries une proposition d'épicerie, de cuisine, de vins ou encore d'art de la table.
A Lyon même, dans le 9è arrondissement, le Meilleur Ouvrier de France Cuisinier Matthieu Viannay a imaginé l'Epicerie-Comptoir de la Mère Brazier, depuis dupliquée dans le 6è arrondissement. Les pains bio sont pétris par le chef Lorenzo Demange et son équipe à partir des farines de la Minoterie Dupuy-Couturier, détentrice de la fameuse marque Borsa.
Dernier arrivé dans cette lignée qui n'en finit plus de grandir, le chef Meilleur Ouvrier de France Olivier Nasti ouvrira le 17 août prochain sa boulangerie nommée sobrement Levain. Elle sera adossée à son restaurant étoilé le Chambard à Kaysersberg (68). Les recettes ont été élaborées en collaboration avec le boulanger Luc Roux, installé Digne les Bains Bas-Alpins (04), lequel a formé l'équipe du restaurant et notamment Rémi, déjà cuisinier au sein du Chambard et devenu chef boulanger de la maison. Levain naturel et farines biologiques seront au programme de ce projet, qui a nécessité deux ans d’études et de travaux.
Toutes ces adresses et les nombreux ponts qui existent aujourd'hui entre les métiers de boulanger et de cuisinier laissent à penser que la tendance ne fera que s'amplifier dans les années à venir : les boulangers ouvrent progressivement de véritables restaurants... et leurs homologues finissent par les rejoindre dans leur métier d'origine. La boucle est bouclée.